dernière mise à jour: 19 mai 2009

PEDAGORE   actualisation 09

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IPM

Conservatoire et musiques exclues
Actes du colloque de Liège 1985

Institut de pédagogie musicale la Villette, Paris 1987


Musiques anciennes et traditionnelles, musiques modernes de recherche, musique contemporaine, informatique musicale, musiques modernes et populaires, jazz, chanson, fanfare…
Quels rapports, quelle place dans le paysage institutionnel de l'enseignement musical? Quelles ouvertures à imaginer et promouvoir pour les Conservatoires? Réflexions et interrogations sur le(s) sujet(s)
Où en est-on presque vingt ans après?
Qui précède qui?
L' Institution avant la Musique, la Musique avant l'Institution ?



Sous le vocable un peu provocateur de "musiques exclues", il faut envisager des musiques insuffisamment traitées ou dédaignées par l'enseignement officiel […]
[…]
Il s'agit, la plupart du temps, de musiques qui ne sont pas suffisamment prises en considération par l'enseignement musical organisé. Le choix du vocable, effectivement un peu provocateur, a pour but d'attirer l'attention sur ce phénomène, et d'éveiller l'intérêt, la sympathie, à l'égard de ce problème, afin de conduire à des travaux constructifs, à des conclusions concrètes. (Henri Pousseur, instigateur du thème)
[…]

Quelques éléments de réflexion rencontrés dans le livre:

p. 34:
Pédagogie – création – recherche
(Dans l'intervention de Henry Foures):

L'enseignement ne doit pas être seulement cantonné à un acte d'apprentissage, comme il l'est devenu au XXe siècle, mais en lien direct avec la création et la recherche.
Importance de ce lien (ces liens) à établir (ou plutôt rétablir)entre création/recherche et la réalité pédagogique (champ d'application).

p. 40:
Musique ouverte (formes ouvertes)

Comment l'inciter au niveau des Cursus, lui donner sa place en tant qu'élément du répertoire de base, au même titre que d'autres.
Reconsidérer les Cursus, plans d'études et leurs contenus en se basant sur les composantes avant de se baser sur les pratiques actuelles ("traditionnelles").

p.41:

Remarque d'Henri Pousseur: "… Mais j'ai voulu provoquer mes enseignants et étudiants, en leur disant que désormais, les cours de musique de chambre devraient être considérés comme principaux, dont les cours individuels seraient un peu – en forçant l'expression – les cours "parallèles". …"
Renversement pouvant nourrir une utile réflexion dans notre vision et élaborations des Cursus…

p. 45:

E. Sprogis: " … L'évolution de la musique passe aussi par la recherche en pédagogie musicale …".
Elément qui a été longtemps délaissé, et l'est encore à trop d'endroits et lieux d'enseignement…

p.48:

J.-C. François (de l'article: la musique expérimentale et l'université)

"...
Si le musicien d’aujourd’hui doit absolument accumuler un bagage, c’est certainement en vue de s’en débarrasser au plus vite. Il ne s’agit donc pas d’éliminer l’habilité technique et les connaissances théoriques. Bien au contraire, une solide formation traditionnelle seule garantit la possibilité d’une musique. Mais on ne peut plus se contenter d’être un pur spécialiste. Non seulement il faut la compétence technique, mais aussi une solide connaissance théorique ouverte largement sur les pratiques contemporaines du monde entier, mais on ne peut plus être exclusivement un compositeur « sur papier » ou un instrumentiste interprète. Il faut être à la fois compositeur, interprète, théoricien, pédagogue, administrateur, etc. ... Il faut être tout cela à la fois, globalement, et non pas assumer tous ces rôles l’un après l’autre, en changeant de masque à chaque instant. L’idéal, c’est de connaître le monde du compositeur, mais surtout de ne pas le prendre au sérieux, c’est de savoir jouer d’un instrument, mais être prêt à abandonner sa technique, et c’est d’avoir à sa portée les explications de l’univers sans penser sérieusement qu’il est possible de l’expliquer unilatéralement. Dans ces conditions, même si les compétences peuvent très bien se maintenir à un très haut niveau, en dépit de la multiplicité des tâches, il ne saurait s’agir d’atteindre la perfection stérile de la musique professionnelle d’aujourd’hui. Il faut être prêt à jouer sur les limites sans jamais réussir pleinement à les excéder.
..."

p. 58:

(R. Wangermee): […] Depuis l'invention du disque, les raisons d'apprendre la musique ne sont plus les mêmes. Nos institutions fonctionnent encore sans avoir pris conscience de cette évidence. Les objectifs des établissements d'enseignement n'ont pas fondamentalement changé, alors que les raisons de leur existence se sont totalement modifiées. […]
"Exclusion": une certaine idée de l'académisme qui sépare de ce qui se pratique artistiquement.

p.69-71:

Quelle est la "formation de base" de "toutes" les musiques, la "formation" ouvrant sur de multiples pistes et courants.

Et le texte fort pertinent de Julos Beaucarne (p. 64)

JULOS BEAUCARNE:

POUR UN FRONT DE LIBÉRATION DE L’OREILLE

Je pensais qu'on avait aboli l’esclavage mais les nouveaux esclavagistes sont sonores: asservir par le son est la façon la pus subversive d’asservir. Le son quotidien de la radio, de la télé, est moins inoffensif qu’on ne croit. Raoul Duguay dit: « Si tu ne choisis pas ta longueur d’ondes c’est a longueur d'ondes qui te choisit. » On a parlé de péril nucléaire, des armes bactériologiques on n‘a jamais parlé des armes sonores. Le « Disco »: 120 pulsions/minute a été fabriqué pour faire perdre toute mémoire personnelle aux danseurs et les faire boire un maximum. Sitôt passé le seuil de 80 décibels l’oreille devient un chef d’œuvre en péril. L’oreille ne serait entièrement formée qu’à 42 ans, elle est mise durement à l'épreuve aujourd'hui où les nouveaux pouvoirs sont sonores. Le dictateur sonore a les boutons de potentiomètre au bout des doigts. N’importe quelle musique, Mozart, Brel, Stockhausen, le Rock, diffusée à plus de 80 décibels devient un danger pour l’oreille, et l’oreille est l’organe de l’équilibre: ainsi sous prétexte de culture on tue l’oreille outil de culture... La musique écoutée à un niveau trop élevé devient une drogue, une empêcheuse de fleurir, de grandir. La musique bien dosée donne toujours à celui qui écoute l’envie de faire sa propre musique. Ainsi les stars même si elles parlent de liberté dans leurs chansons annulent pratiquement ce qu’elles disent si la sono est trop forte car elles ne laissent aucune liberté aux oreilles des spectateurs qui sont submergées par le raz-de-marée et le rouleau compresseur sonores. Dès que le spectateur a pénétré dans la salle il n’a plus le choix de prendre ou de ne pas prendre la musique, le son s’impose à lui, on ne lui demande pas son avis. Ce qu’il va recevoir dans les oreilles dépendra de la volonté de puissance du sonorisateur, de sa philosophie; le sonorisateur est actuellement le roi du spectacle, c’est lui qui est aux commandes du flux sonore, c’est lui le maître à penser, le disciplineur de stars, en fin finale, c’est lui la star, et l’homme et la femme qui sont sur scène sont ses marionnettes, et le public aussi est sa marionnette, il est un violeur collectif d’oreille et à travers l’oreille il fait passer sa philosophie.
A côté des sonorisateurs de spectacle et des programmateurs de radio et de télévision Le Pen est un enfant de chœur: « Qui pagaie quand le courant le porte fait rire les crocodiles ». Il se donne beaucoup de mal alors que tout ce à quoi il aspire se fait tout seul sans qu’il doive seulement bouger le petit doigt. Les médias font pour lui des brouillons de prise de pouvoir. En ne passant qu’un style de musique elles pratiquent une sorte de fascisme musical très dangereux. Celui qui s’étonne de la montée du racisme n’a qu’à se brancher sur une radio officielle, il comprendra tout de suite que le choix musical n’est pas multidimensionnel, il entendra toujours le même son et les mêmes chanteurs (Il y a heureusement des exceptions mais aux moments de grande écoute on est loin d’un choix varié qui pourrait élargir les oreilles et la comprenette de l’auditeur). Parfois il y a des entrevues passionnantes mais ces entrevues sont coupées par des chansons qui n’ont rien à voir avec les propos de l’invité et qui parfois détruisent le bénéfice de ce qu’il a pu dire. A la radio il y a peu d’aventuriers, peu de femmes et d’hommes Saumons qui remonteraient le courant en proposant d’autres styles de musique: partout le même prêt à écouter musical, le même uniforme sonore.
C’est par les oreilles que rentre la civilisation, toute une philosophie passe par le son et selon l’intensité de ce son. D’où la nécessité actuelle de créer un front de libération de l’oreille, celui-ci une fois créé, tous les autres fronts de libération ne seront plus nécessaires, chaque citoyen pourrait retrouver une plage de silence pour fleurir en paix à l’ombre de ses deux merveilleuses oreilles.
Je n’ai jamais été pédagogue et j’ai appris sur les chantiers les métiers de la communication, pour apprendre la marche j’ai toujours cru qu’il fallait marcher et la technique de la marche m’est venue très tôt. La musique que j’aimais quand j’étais enfant c’était le murmure du vent dans le grand tilleul centenaire du jardin de ma voisine et la musique des outils de mon père affairé à la fabrication de machines agricoles. J’ai pris goût à la musique des mots à l’écoute des voix des comédiens qui disaient des poèmes à la T.S.F. et à l’écoute des voix des clients de mon père dont nous savourions l’accent et les expressions, oreilles tendues contre la porte du bureau. Pour moi il n’y a jamais eu de différence entre les voix des femmes et des hommes et les voix des instruments de musique, toutes ces voix étaient pour moi la même voix. Cette immense voix me touchait à l’intérieur et me mettait en vibration. Je me demande aujourd’hui si quelqu’un peut apprendre à quelqu’un d’autre à vibrer.
Sans doute on peut lui apprendre les formes les plus diverses mais peut-on lui apprendre la magie, peut-on lui apprendre ce qui le relie à tout l’univers existant. Peut-on lui apprendre à être lui-même avant d’être pris par le rouleau compresseur médiatique, avant de devenir copie conforme, duplicata de quelqu’un d’autre, avant de devenir une sorte de pléonasme vivant. Pédagogues et apprentis musiciens sont environnés d’influences qui peuvent peser sur leur pratique quotidienne de la musique. Quand le même style de musique devient omniprésent sur toutes les radios du monde au détriment de millions d’autres styles de musique, l’apprenti musicien comme le pédagogue, comme le musicien différent, se sentent devenir peu à peu des marginaux. Bientôt par satellite nous pourrons capter toutes les télévisions du monde mais il est possible qu’on verra le même musicien sur tous les écrans comme on trouve dans tous les aéroports du monde la même marque de parfum, à San Francisco, à Mexico, à Tokyo, à Anchorage ou à Vancouver, il faut espérer une grande diversité de musiques afin que nous puissions vivre au rythme des tam-tams du village global. Nous sommes entrés dans l’ère vidéo Chrétienne il n’y aura bientôt plus qu’une seule Ecole, l’école Cathodique, encore que les écrans cathodiques seront bientôt remplacés par des écrans plats à cristaux liquides. L’ordinateur va aussi influencer la nouvelle génération des musiciens compositeurs et presque parfois remplacer le pédagogue. Le Programme Music Works de l’ordinateur Macintosh permet d’écrire une partition musicale à quatre voix et d’entendre directement les notes que l’on vient d’écrire jouées par des instruments de notre choix. On fait alors passer la partition sur l’imprimante les quatre voix ensemble ou les voix séparées, ce qui permet à des musiciens de jouer l’après-midi une musique écrite le matin par un compositeur équipé de cet ordinateur et en plus ce compositeur n’est pas obligé de connaître la musique, il peut composer à partir d’un clavier de piano qui se trouve sur l’écran et au lieu d’écrire les notes, il trace une ligne face à la note du clavier qui se trouve sur l’écran, et de cette façon il écrit sa musique. Grâce à ces outils étonnants chacun pourra écrire lui-même sa propre musique. Je crois qu’aujourd’hui tout musicien en herbe sera attiré par l’ordinateur. Je rêve d’un pédagogue musical qui lance ses élèves sur des pistes diverses, qui leur fait entendre toutes les sortes de musique mais d’abord la musique de leurs poumons, la musique de leur propre voix. Un pédagogue qui tenterait d’éveiller des musiciens multidimensionnels à la mesure de la planète et de l’univers et non des mandarins et des gens de caste, un pédagogue qui ferait éclater les limites de la musique, car tout est musique: les mots wallons (comme l’a fait Guy Gabay) où le sens est dans le son comme Berdouille, un mot Kiswaéli comme POTOPOT qui veut dire boue ou gadoue, Bilulu qui veut dire l’insecte, le mot québecois « Slotch » pour la neige fondue. Les noms d’oiseaux en wallon qui sont le cri de l’oiseau comme « Tchif tchaf » pour le traquet Tarier, Tchic tchac pour le pouillot siffleur, Tchipe tchipe pour le gobe mouche noir. Le mot anglais Jetstream pour le courant d’air qui porte les planeurs. Je rêve d’une langue musicale universelle où l’on prendrait les mots où le sens est dans le son dans toutes les langues et dans les mots d’enfant comme cet enfant de 3 ans qui appelle la musique VUMVUDINE. La musique comme celle des insectes du Lubéron qu’enregistre Knud Viktor ou celle des vers qui se répondent dans une poutre. Tout est musique, une porte qui grince, le bruit d’un stylo sur une feuille, le bruit de l’imprimante d’un ordinateur, le bruit familier d’une vieille deux chevaux qui démarre et le bruit de la pluie, tout est musique, même le bruit et le murmure que vous faites en m’écoutant et le bruit des gens qui rentrent et qui sortent quand nous parlons, la musique des sphères, la musique de la comète de Halley que le satellite Giotto rencontrera en mars 1986, la musique de chacun de nos cerveaux qui ressemble à des cris de milliers d’oiseaux qui crépitent dans notre boîte crânienne. La musique est si large qu’elle ne s’encombre pas des mesquineries de tous les spécialistes, de tous les cultureux, de tous les fricailleux qui veulent enfermer les styles dans des prisons pour que ça rapporte. Je rêve de dire à toutes les spectatrices et à tous les spectateurs: je suis venu de tout près pour vous dire que vous êtes toutes et tous totalement irremplaçables. Que la musique de votre voix est particulière. »
La musique qui colle à la vie c’est celle qui épouse la palpitation de notre sang, de nos langages, de nos climats, elle peut être électrique ou pas. Ce serait bien d’habituer nos oreilles à recevoir toutes les musiques. Les modes sont des maladies mentales entretenues par le commerce, l’argent et la forme ont fait une percée plus importante que le fond. Si la musique ne nous sert pas à aller plus loin en nous même, si la musique ne nous fait pas gagner du temps, si la musique n’affine pas notre oreille, si la musique ne nous apporte pas des milliards d’informations qui font que nous sommes différents après l’avoir écoutée, alors elle ne sert à rien, « elle sert tout juste à décorer le silence »comme dit un de mes illustres collègues. Nous autres les chanteurs francophones nous faisons partie à part entière des musiques exclues, nous sommes exclus des conservatoires et nous sommes en exil aussi dans le monde francophone, nous sommes des sortes d’émigrés de l’intérieur. Le rossignol chante, dit-on, pour délimiter son territoire de chasse, l’Amérique est un grand oiseau qui chante pour délimiter son vaste territoire de chasse. Cet Oiseau impérial on l’entend partout, la réciproque ne se fait pas. On entend rarement aux Etats-Unis des rossignols de chez nous. Europe, Asie, Océanie, Wallonie servent de hauts-parleurs aux rossignols américains. Tous les pays du monde sont devenus la grande mégapolis sonore américaine. Vite Garçon, un charter pour New York.
Et pour en finir, si tu n’as pas de musique et de mots plus forts que le silence, tais-toi. Et c’est ce que je fais.

Julos Beaucarne
15 septembre 85
Château de Colouster
Europe occidentale