Texte tiré de "L'avenir de l'enseignement spécialisé de la musique", Actes des Journées d'études d'avril 2000, Tome1, Cefedem Rhône-Alpes. Extrait de la synthèse des commissions du mardi 18 avril 2000, rapporteur général Eric Sprogis

La question de l’évaluation

Qu’on le souhaite ou non, le système d’évaluation semble avant tout déterminé par le poids du milieu musical professionnel dont on semble souvent craindre encore le jugement. Dans la réalité, rien n’oblige pourtant une école de musique à maintenir contre vents et marées un dispositif unificateur d’examens à répétitions. On peut bien sûr les espacer, tout en conti­nuant à penser qu’ils sont les seuls moyens de maîtriser les logiques plurielles de développement de nos activités. L’une des commissions a pu découvrir à cet égard l’intéressant exemple de l’école de musique de Stuttgart qui n’a aucun système d’examen bien qu’elle accueille plusieurs milliers d’élèves.

Qui évalue-t-on, en fait, à travers les examens ? Les professeurs eux-mêmes, les établisse­ments ne sont-ils pas évalués par le biais des élèves ? Pourquoi n’y a-t-il pas de dispositifs aussi contraignants pour les professeurs, les directeurs, les institutions elles-mêmes

Ne peut-on trouver des moyens de valider autrement la pertinence de notre action ? Par exemple en confrontant régulièrement les élèves à une véritable « pratique sociale» - les examens devant des jurys extérieurs ne sont qu’une symbolisation lointaine d’une telle pratique, qui n’est plus représentative de ce qu’ils étaient sensés jadis exprimer la confrontation des apprenants musiciens à la société musicale.., professionnelle. Pratique sociale qui ne saurait se résumer à l’audition annuelle devant les parents, même si celle-ci reste sans doute indispensable. Les musiques actuelles, dans lesquelles les musiciens sont à la fois interprètes et créateurs, produc­teurs et organisateurs, techniciens et artistes, « esthètes » et « militants », peuvent nous proposer des voies intéressantes à explorer sur ce plan.

Si l’on admet l’idée que nos écoles sont en fait des établissements culturels à part entière, et que nous dépassons l’idée qu’elles soient dévolues à des cursus à suivre de bout en bout, l’éva­luation ne peut plus être conçue comme ce moment où l’élève, seul face à ses juges, doit prouver ses compétences, alors que l’on aura tant insisté sur son immersion dans des pratiques collectives - pilier principal de nos enseignements, a-t-on encore répété -, des rencontres vivantes et contradictoires avec des langages musicaux variés, et devant des publics différents.

On a également évoqué les contradictions dans lesquelles se trouvaient les enseignants qui tentaient des expériences pédagogiques « novatrices » et qui ne pouvaient obtenir de véritables modifications des modalités d’évaluation, sauf à la limite en rajoutant des épreuves complé­mentaires, sans parvenir à toucher au socle de l’évaluation des compétences validées officiellement par l’institution. Une nouvelle version du millefeuille dont on parlait hier...

Certains restent attachés à la nécessité d’un cursus de référence, d’un répertoire indispen­sable à acquérir, à l’enseignement de techniques reconnues comme indispensables ; ils estiment nécessaire de maintenir ces dispositifs, par crainte d’un éventuel délitement des repères, des objectifs que l’on a eu tant de mal à comprendre soi-même - ce qui, soi dit en passant, suppose qu’ils sont rarement explicite dès le début des études. Il est vrai que l’on admet maintenant géné­ralement la nécessité de prévoir des voies de dégagement pour ceux qui échouent (comme dans certains virages dangereux au bas de descentes rapides pour ceux qui rateraient le virage...). Mais que veut dire au juste « échouer » pour celui qui ne veut pas faire de la musique sa profession, pour cet élève qui, finalement, correspond peut-être à notre mission « normale » ?

     [p.123-124]

 

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